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Si la responsabilité est un devoir, la dignité est un droit.
La Déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948 proclame la dignité de l’Homme comme fondement de la liberté, de la justice et de la paix.
La dignité est ainsi l’égal attribut de tout individu. C’est aussi le respect que l’on doit à soi-même, selon Montesquieu. Mais, pour Kant, c’est en premier lieu l’autonomie de la volonté en tout, seul élément digne, ce qui pose la question de l’utilisation de sa propre liberté en société.
Il existe donc des liens logiques indissociables qui unissent les notions de liberté, de dignité humaine, de responsabilité et de justice.
Mais que signifie, si l’on reprend le vocabulaire marxiste, la liberté formelle (celle des droits) sans liberté réelle (celle des moyens) et quels contenus leur donner ?
Quelques constats en effet s’imposent.
I. Nous connaissons aujourd’hui une crise de civilisation
L’espérance humaine contenue dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en 1948 reste un idéal.
Le droit au travail, à la sécurité sociale, à la protection sociale, à l’éducation … est loin d’être une réalité dans le monde avec des avancées inégales mais il doit continuer à inspirer la quête de ceux qui se rebellent contre les régimes dictatoriaux.
Nous sommes aujourd’hui dans la mondialisation libérale d’un capitalisme triomphant, caractérisé d’abord par sa dynamique financière et boursière, par une interdépendance économique accrue à l’échelle de toute la planète et par des délocalisations sans précédents des pays anciennement industrialisés et à forte protection sociale au profit de pays émergents.
La crise est aujourd’hui globale : le changement climatique, la crise alimentaire et la crise énergétique se combinent à la crise financière engendrant une pauvreté et des déplacements de population, ainsi que le retour de la précarité dans le monde du travail. D’où la fracture de plus en plus nette entre la création de richesse au plan économique et le progrès social et écologique.
La dimension irréversible de certaines questions a rendu en grande partie caduques certaines solutions institutionnelles. Nous devons innover dans les réponses à apporter. Des choix fondamentaux nouveaux s’imposent : croissance ou développement ? lutte contre la pauvreté ou lutte contre les inégalités ?
Dans les années 1990, on assiste à l’abandon du développement et à la montée de l’humanitaire devenue la principale finalité légitime dans les rapports entre nations en ces temps d’incertitude avec une capacité à s’attaquer aux inégalités qui sous-tendent cette pauvreté et aux structures du commerce international qui occasionnent ces inégalités.
Une des grandes faillites politiques de la dernière décennie a donc été la lutte contre les inégalités. Il est donc nécessaire de sortir de l’idéologie du progrès en établissant une distinction majeure entre un type de croissance qui implique une augmentation continue de la production et le développement qui consiste en l’organisation de la consommation et de la production, des revenus et des dépenses en fonction de l’amélioration des conditions et de la qualité de vie des populations : l’éducation, l’emploi, l’habitat, le bien-être, la santé … Peut-on laisser le système financier en l’état ? Peut-on laisser les grands actionnaires dicter leurs volontés par leur politique du gain à court terme ? Peut-on laisser le commerce mondial développer des échanges aussi peu écologiques en matière de transport de marchandises en se satisfaisant uniquement de gestes écologiquement exemplaires ? Peut-on laisser courir le recours systématique au crédit, à la publicité sans contraintes, à l’emprise des marques, à la pression au renouvellement constant des biens que nous possédons, bref le consumérisme croissant qui a fait prendre nos désirs pour des besoins et le futile pour de l’utile ?
II. Notre proposition réside donc dans l’idée qu’il existe un espace inédit d’innovation et de transformation sociale dans une zone où le social et l’économie se superposent.
De nouveaux indicateurs de richesse et de développement humain (IDH) plus adéquats comme l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’instruction, la santé doivent faire leur apparition.
Dans son manifeste (décembre 2008), FAIR (Forum pour d´Autres Indicateurs de Richesse) déclare : « C’est en redonnant sens aux échanges non économiques et à « ce qui compte le plus » pour nous que nous serons en capacité de redéfinir la notion de richesse, de refonder les règles du partage, les supports d’échanges comme la monnaie, mais aussi les modalités de compte, ou encore les systèmes de redistribution appropriés et que nous serons en mesure de redonner sa juste place – et non pas toute la place – à l’économie. », dans les indicateurs dits « de progrès ».
C’est ainsi que doit entrer en scène – ce fut initié au sommet de Rio en 2002- dans toutes les politiques publiques nationales, européennes, le développement durable, qui introduit l’exigence intergénérationnelle c’est-à-dire la question de la transmission conformément à nos valeurs.
Le développement durable peut se définir ainsi : le social doit être au poste de commande ; l’économie doit être considérée pour ce qu’elle est, un instrument de développement, non une fin ; le social et l’environnement doivent constituer deux conditionnalités majeures dans les choix économiques qui s’opèrent, auxquelles s’ajoute celle d’une gouvernance transparente qui impliquent les différents acteurs.
Ce concept, basé sur la politique de responsabilité sociétale des territoires vise un développement local intégrant la cohésion sociale comme objectif prioritaire.
Il faut par ailleurs, « revenir au développement d’une pluralité de formes entrepreneuriales. Empruntons l’expression de Felice Scalvini de l’Alliance coopérative Internationale. Selon lui, la prévalence d’une forme unique d’entreprise assèche les sources dont elle tirait sa propre subsistance, de la même manière que les monocultures épuisent les sols sur lesquels elles poussaient ».
En plaçant l’Homme et ses générations futures au cœur du système, en générant du capital social, en redonnant à l’ensemble des citoyens, une place au sein des échanges économiques et sociaux en leur permettant de vivre dans une société ouverte à tous, l’Economie sociale et solidaire peut contribuer, sans renverser le modèle dominant, à infléchir l’ensemble de l’économie en démontrant à travers ses valeurs, et ses politiques, sa capacité à assumer complètement les enjeux de développement durable.
Elle intègre dans ses finalités, ses effets non-monétaires sur la société. Pour elle également, la valeur sociale d’une activité ne se réduit pas à sa valeur marchande. Les entreprises de l’ESS (coopératives, associations, mutuelles, fondations) sont innovatrices par leurs modes d’organisation originaux qui reposent sur 4 principes :
- Finalité de service à la collectivité ou aux membres, plutôt que finalité de profit.
- Autonomie de gestion (par rapport à l’État).
- Gestion démocratique et participative.
- Primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition des revenus.
L’apport des acteurs de l’Economie sociale et solidaire, estimé à 10% au niveau mondial par l’OIT, est essentiel au développement territorial quelque soit le lieu, quelque soit le pays.
III. Quelles voies proposer ?
Une de ces voies consiste à replacer l’accès à l’éducation comme un des piliers fondamentaux de construction de nos sociétés.
– Une des voies d’un projet d’une société plus humaine consiste également à replacer l’intérêt général avant les intérêts particuliers et à sortir de la privatisation des biens communs sociaux et des ressources considérées d’intérêt commun comme les secteurs sociaux stratégiques de l’éducation, de la santé ou de la culture.
De même les ressources que sont la terre, l’eau, les sources d’énergie, les forêts, et les ressources immatérielles que sont la connaissance, etc. doivent faire l’objet d’une gouvernance collective spécifique (cf Prix Nobel 2009, Elinor Östrom).
– La seconde piste porte sur un mode de gouvernance partagée à tous les niveaux. Elle mise sur l’intervention énergique des Etats et des Institutions internationales pour de nouvelles régulations. Elle fait appel au renforcement de la maîtrise collective internationale des modèles de développement afin notamment de lutter contre le réchauffement de la planète et contrôler l’affaiblissement de sa biodiversité.
Les Etats devraient contraindre toutes les entreprises (publiques, marchandes, collectives) à rendre compte non seulement de leur création de richesses sur le plan économique mais aussi de leur utilité sociale et de leur empreinte écologique. L’ensemble des parties prenantes (salariés, consommateurs) doivent être mieux associées à la gouvernance à travers des modes participatifs et leur implication dans la société civile.
Le renforcement à tous les niveaux de la démocratie doit s’accompagner de la construction d’un mouvement citoyen international et la solidarité internationale Nord/Sud et Sud/Sud doit être favorisée.
– Enfin, la dernière réflexion porte sur les choix sociaux et le renouvellement de l’Etat social. En raison de la diminution des emplois salariés, une fraction grandissante de la société ne bénéficie plus de revenus d’activité et ne subsiste que grâce à la redistribution solidaire des revenus transférés par une Sécurité sociale à bout de souffle et par l’assurance chômage. Les systèmes de solidarité sont aujourd’hui sujets à critiques quant à leur modèle et leur complexité et leur « bureaucratie ». L’Etat providence s’est transformé en état pompier de banques dans le sillage de la crise.
Alors faut-il développer une nouvelle idéologie solidariste ?
Pour Yoland Bresson, Professeur à l’Université de Paris VII et Président de l’AIRE (Association pour l’Instauration d´un Revenu d´Existence), il faut redéfinir l´utopie et modifier la génétique des sociétés en donnant à chaque citoyen un revenu d’existence (ou pour d’autres une allocation universelle – A.U. ou un Revenu de Base – RB) inconditionnel et il annonce la venue d’une « clémente économie ».
De quoi s’agit-il ?
L’allocation universelle désigne le versement d’un revenu unique à tous les citoyens d’un pays, quelques soient leurs revenus, leur patrimoine et leur statut professionnel afin de satisfaire ses besoins primaires en laissant l’individu libre de mener sa vie comme il l’entend. Ce revenu serait inaliénable et inconditionnel, cumulable avec des revenus issus du travail versés aux personnes et non aux ménages. L’A.U. a vocation à remplacer toutes les aides sociales en aidant les personnes non encore productives comme les jeunes. Son financement est basé sur les richesses mais les modalités divergent selon les auteurs.
Elle est préconisée par une partie des libéraux de la pensée libertarienne de droite comme à gauche, des mouvements chrétiens et des socialistes alternatifs. A des degrés divers, tous les promoteurs de cette idée s’appuient sur la nécessité de dignité pour tout un chacun et sur les droits de l’Homme, « les Hommes naissent libres et égaux en droit ». Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. (Article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen).
Comme le dit Stéphane Hessel, « notre système ne marche plus, il est temps de changer de système. »
En touchant au lien sacré entre rémunération et travail, c’est à un pilier de la société que l‘on s’attaque. Cependant, 5% des travailleurs suffira bientôt pour faire tourner l’économie, la pression actuelle des travailleurs s’accentue beaucoup, les plus faibles sont éliminés, le nombre de suicides augmente. Quelle valeur du travail aujourd’hui ? Pourquoi affubler du terme « minimum d’insertion » un revenu de subsistance ? Pourquoi culpabiliser ou rappeler un souvenir douloureux à un parent isolé ?
Le point essentiel aujourd’hui, c’est le problème de l’emploi et, par conséquent, de notre organisation productive et distributive. Avec l’Allocation universelle (ou le revenu d’existence,) ce n’est pas une modification de la redistribution, c’est le mode de distribution des revenus qu’il faut changer.
En référence à Stéphane Hessel et Edgar Morin, François Plassard (ancien directeur de recherche au CNRS) exprime deux idées simples qui peuvent tout changer.
- Quand les citoyens prennent conscience que l’humain devient une simple variable d’ajustement du développement économique …
- Quand l’échange de marché envahit toute la société et toute la vie, qui n’a de finalité que la croissance quantitative pour elle-même…
Il faut reformuler trois valeurs républicaines pour les revivifier, et en inversant l’ordre :
- Fraternité –> responsabilité
- Egalité –> solidarité
- Liberté –> dignité
La recherche de plus de responsabilité, de solidarité, de dignité conduit au Revenu d’Existence.
Selon Marie-Louise Duboin (docteur en Sciences Physiques), « refonder la société pour la baser sur la solidarité, c’est donc remplacer la foire d’empoigne pour trouver un emploi à tout prix, par une sorte de contrat à long terme entre l’ensemble de la société et chacun de ses membres. Contrat citoyen qu’on peut résumer de la façon suivante : la société garantit à chacun un revenu décent pendant toute sa vie, et réciproquement, chacun s’engage à contribuer, par son activité, dans la mesure de ses moyens et en fonction des nécessités, à faire que la société puisse garantir à tous ce niveau de vie décent. C’est, pour l’individu, le droit à un revenu à vie contre le devoir de participer. C’est, pour la société, l’obligation de prendre en charge tous ses membres contre le droit d’exiger leur participation. Il reste à décider ensemble du choix et des modalités de la participation et de la façon de répartir les revenus ».
Nous terminerons concrètement sur notre sujet avec cette opinion de l’historien Jacques Marseille : « Le pari de l’allocation universelle est que l’insertion sociale ne peut se construire sur la contrainte mais sur la confiance placée dans les bénéficiaires de ce nouveau droit. Une utopie, sans doute, pour tous ceux qui n’accordent aucune confiance aux individus et pensent que seule la contrainte de « gagner son pain à la sueur de son front » est le meilleur garde-fou contre la paresse. Un pari sur l’intérêt et la nature humaine pour tous ceux qui pensent au contraire qu’un individu préférera toujours cumuler ce revenu à un autre salaire, surtout quand ce salaire correspondra à un travail qu’il aura librement choisi. »