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Intervention sur les relations entre la France et le continent africain. – Mercredi 2 mars 2011
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Cochet.
M. Yves Cochet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers
collègues, « Avec l’Afrique, il nous faut construire une relation nouvelle,
assainie, décomplexée, équilibrée, débarrassée des scories du passé. » Cette
profession de foi, vous l’avez reconnue, a été prononcée à Cotonou, le 19
mai 2006 par le candidat Sarkozy qui l’avait même gravée dans le marbre en
l’inscrivant dans son programme. Je le cite de nouveau : « Je favoriserai le
développement des pays pauvres, en cessant d’aider les gouvernements
corrompus. […] On ne fera pas bouger les choses par le seul tutoiement
entre le chef de l’État français et ses homologues du continent, mais par la
conscience collective d’un intérêt commun. »
Une fois de plus, mensonges et compagnie, le Président est pris la main dans
le sac. Rien n’a changé, je dirai même que tout s’est aggravé. Le discours
de Dakar a accru le fossé entre les peuples africains et la France. Les
rapports incestueux entre la France et l’Afrique, que l’on a désignés sous
le nom de Françafrique, se passent au plus haut niveau, comme l’ont montré
tout récemment les voyages d’agrément en Tunisie, Libye, Maroc, Égypte de
nos dirigeants.
Décidée à partir de l’Élysée, contrôlée longtemps par M. Jacques Foccart
puis par ses adjoints, et ensuite par M. Jean-Christophe Mitterrand, la
politique subsaharienne est gérée maintenant encore par une cellule
organisée autour de M. Robert Bourgi, aidé par M. Patrick Balkany, et
dirigée jusqu’à ces derniers jours par M. Claude Guéant. Vous y avez même
adjoint une pièce maîtresse en la personne de Dov Zerah, le directeur
général de l’Agence française de développement.
Ce système, même s’il a évolué, repose sur trois piliers : la cellule de
l’Élysée, l’état-major, qui dispose dans plusieurs pays de bases militaires
d’intervention d’où il peut soutenir les dictateurs locaux, comme il l’a
fait encore il y a très peu au Tchad, et un réseau de grandes entreprises, à
commencer par Total, Bouygues, Bolloré et Areva.
La Françafrique, c’est aussi un réseau composé d’agents de renseignement, de
barbouzes, de personnages hauts en couleurs qui n’ont pas disparu avec Bob
Denard, et, surtout, un groupe de dictateurs qui se reproduisent de
génération en génération, comme au Gabon ou au Togo, où les fils succèdent
aux pères avec la bénédiction des autorités françaises.
Cette situation d’un autre âge ne permet pas de construire avec les peuples
africains un système de partenariat équilibré. Elle donne le sentiment que
la France continue à entretenir une sorte de mythe colonial et gaulliste
d’une Union française reposant sur des caciques mis en place et armés par
notre pays.
Plus généralement, je voudrais dire un mot sur ce qu’on pourrait appeler le
néo-impérialisme de la France et des pays riches vis-à-vis de l’Afrique,
dont le système que je viens de décrire rapidement est l’agent opérationnel.
Cet impérialisme, c’est l’appropriation, le pillage, la prédation des
richesses naturelles de ce continent par les pays du Nord, accompagnés bien
sûr de la spoliation des populations africaines, ce que certains historiens
ont appelé l’échange inégal.
Cet échange inégal ne se réduit pas à une comptabilité monétaire de
l’échange, comme le pensent les néo-classiques ou les marxistes. Il s’étend
à la captation du temps, à la captation de l’espace et du sous-sol, dans une
analyse plus écologiste de la théorie de l’exploitation. Je n’ai pas le
temps de développer mais, si vous lisiez mon livre de 2005, vous pourriez en
savoir un peu plus. C’était la minute publicitaire. (Rires.)
Ce qui s’est passé en Tunisie, puis en Égypte et en Libye, a déjà des
conséquences dans plusieurs pays d’Afrique. Si vous espérez contenir
longtemps les mouvements de population en soutenant à bout de bras les Ali
Bongo, Idriss Déby, Sassou N’Guesso, Faure Ngassinbé et autres dictateurs,
vous allez au-devant de graves ennuis comme en Tunisie ou en Libye.
Le monde change. Seul un rapport nouveau entre les anciennes colonies et
l’Europe permettra de définir un cycle vertueux.
Cela passe par le départ des troupes françaises et la fermeture des bases
militaires sur le continent, dont on sait à quoi elles ont servi ; par la
redéfinition d’une politique de solidarité cadrée par une loi de coopération
et l’annulation de la dette odieuse qui maintient l’Afrique sous la coupe de
la politique définie par le FMI, la Banque mondiale et l’OMC ; enfin par
l’arrêt de la recolonisation des terres agricoles dans de nombreux pays
comme Madagascar, où des millions d’hectares sont gérés par des entreprises.
Cela nécessite aussi une politique de transparence sur les biens mal acquis.
J’évoquerai simplement le plus grand scandale de cette région du monde,
l’Angolagate. Nous avons tout de même réussi à vendre notamment 420 chars,
150 000 obus, douze hélicoptères et six navires de guerre. L’affaire est
toujours en jugement, au moins pour les lampistes, les autres y ayant,
hélas, échappé.
Une étude du Comité catholique contre la faim et pour le développement, le
CCFD, publiée en mars 2007, évalue à une somme comprise entre 100 et 180
milliards de dollars les avoirs détournés par des dirigeants au cours des
dernières décennies. Je le dis en toute clarté ici, ce que vous avez fait
ces dernières années en Afrique, notamment pour protéger les intérêts
d’Areva, contre la volonté des populations touaregs du Niger, ou pour
protéger les intérêts de votre ami Bolloré dans plusieurs ports et forêts de
pays africains a et aura des conséquences pour la France et pour les
expatriés. Vous jouez avec le feu en Afrique comme vous l’avez fait avec les
dictateurs des pays arabes. Vous devrez en rendre compte devant l’Histoire.
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)