Non classé
Débat sur l’OTAN le 3 février 2011.
M. Yves Cochet. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, depuis le retour de la France dans le commandement intégré, imposé par le Président de la République, l’OTAN constitue l’un des piliers de notre défense nationale, aux côtés de l’arme nucléaire, dont il a été question, et de nos bases militaires extérieures.
Cette décision est la seule véritable rupture réalisée par Nicolas Sarkozy ; elle consiste à abandonner une grande partie de la politique étrangère que menait la France depuis le général de Gaulle. Elle a été notamment illustrée par la fin de ce que l’on appelait la politique arabe de la France – on le voit encore aujourd’hui ; par le renforcement continu de l’intervention militaire en Afghanistan ; par la construction d’une base militaire dans les Émirats, en sous-traitant de la politique américaine ; et par l’abandon de ce qui n’était qu’une posture de la campagne électorale sur la question des droits de l’homme, comme le montre en particulier l’accueil triomphal réservé à Kadhafi ou le soutien apporté jusqu’à la dernière seconde au dictateur Ben Ali. L’entrée dans l’OTAN et cette politique que nous critiquons sont hélas cohérentes.
Les écologistes, nés notamment des luttes pour le désarmement et la sortie du nucléaire civil et militaire, sont opposés à cette vision néo-conservatrice de la politique étrangère. Nous ne voulons ni la vassalisation sous commandement américain, ni le repli sur notre pré carré nucléaire, mais une refondation de la politique de défense dans le cadre de l’espace européen qui prenne en considération les nouvelles menaces, en particulier celles qui résultent de la crise écologique globale. À un unilatéralisme modernisé, nous opposons notre conception d’un monde multipolaire, où les ensembles régionaux pourraient bâtir des coopérations renforcées. L’OTAN représente, d’un point de vue idéologique, l’occidentalisation du monde, c’est-à-dire le contraire de notre vision.
La démarche de l’OTAN repose sur un leurre : il s’agit d’une sorte de troc diplomatique, la France retrouvant toute sa place au sein de l’OTAN à condition que l’Alliance atlantique prenne davantage en considération le poids et l’influence de l’Union européenne. La France occuperait des postes à responsabilité à la mesure de sa contribution militaire à l’Alliance – M. Fabius a raison sur ce point.
Ce marché de dupes a évidemment volé en éclats.
Premièrement, quelques effets d’annonce bilatéraux mis à part, la construction de la défense européenne est au point mort, car elle dépend d’abord du renforcement de l’union politique, laquelle est en crise depuis plus d’une décennie. Tant que l’Europe ne décidera pas de prendre elle-même en main ses capacités de défense, et donc de se réapproprier son avenir par son autonomie stratégique, elle ne sera qu’un nain politique, au service de l’idée la plus naïve qui soit : celle d’influencer par allégeance l’administration américaine.
Deuxièmement, le déséquilibre des forces est flagrant. Le budget militaire des États-Unis représente 45 % des dépenses mondiales. L’adoption du nouveau concept stratégique de l’OTAN, à Lisbonne, a eu lieu au moment où la crise du système accroît les tensions et la fuite en avant dans la course aux armements, au seul profit du complexe militaro-industriel, dont la base se trouve aux États-Unis même.
En 2009, 1 531 milliards de dollars ont été dépensés en armements dans le monde, soit une augmentation de 50 % par rapport à 2000. Or une infime partie de ces moyens suffirait à répondre aux besoins les plus criants : 15 milliards de dollars par an permettraient de fournir tous les humains en eau potable, 20 milliards d’éradiquer la faim et la malnutrition, et 12 milliards d’éduquer tous les enfants.
Troisièmement, la légitimité de l’OTAN, organisation politico-militaire née de la guerre froide, est elle-même en cause. Quel est notre ennemi ? M. Fabius a fait allusion à ce problème. Qui peut identifier clairement nos missions, les zones et les limites de nos interventions ? Qui est membre de l’Alliance atlantique, qui ne l’est pas, et pourquoi ? Que signifie la notion même d’Alliance atlantique dès lors que cette alliance intervient en Afghanistan ?
L’OTAN n’a plus de doctrine face au nouvel état du monde et de la guerre. Elle était née d’un concept stratégique de défense de l’Europe face à l’Union soviétique, fondé sur l’hypothèse d’un affrontement classique entre deux armées sur un théâtre d’opérations continental. Or tout cela est fini. Nous vivons l’époque des guerres asymétriques, des formes d’action violentes, des mafias, de la corruption, du terrorisme, des crises internes ou des guerres pour les ressources naturelles.
Nous ne gagnerons aucune victoire avec la force seule. Seule la combinaison de stratégies politiques, économiques, sociales, culturelles, policières pourra nous le permettre.
Même sous Obama, la doctrine américaine n’a pas changé. Les États de l’Est européen qui ont rejoint cette organisation commencent d’ailleurs à le comprendre. Les États-Unis, quelle que soit leur administration, ne connaissent qu’une seule doctrine concernant nos relations. Madeleine Albright sous Clinton avait synthétisé cette politique par le slogan suivant : « No decoupling, no duplication, no discrimination ». Elle disait tout haut la vérité de cette politique d’alignement : pas de découplage entre les capacités et les utilisations militaires européennes et américaines – d’où l’allégeance ; pas de duplication de la production de matériels dans un monde totalement dominé par les industries de défense américaines ; pas de discrimination entre les anciens pays du bloc soviétique et ceux de l’Europe de l’Ouest afin de dissuader toute velléité d’indépendance de la politique de défense européenne.
L’OTAN n’agit qu’en fonction des intérêts tactiques, stratégiques et industrielles de Washington. Elle a fait croire qu’elle pourrait être le bouclier de la Géorgie, on a vu ce qu’il en était. En Afghanistan, c’est encore pire : l’alliance militaire déclare mettre tout en œuvre pour reconstruire un pays qu’elle détruit par ailleurs. Le déséquilibre entre l’effort militaire et l’aide civile est béant, comme M. Fabius le soulignait. Citons des chiffres : depuis 2001, 140 milliards de dollars ont été dépensés pour la guerre alors que 7 milliards seulement ont été alloués à la prétendue aide civile, dont 40 % sont consacrés à payer des entreprises essentiellement « étatsuniennes », qui ont remporté de la sorte de juteux contrats. La technique est désormais bien rodée, ces entreprises « reconstruisent » ce que l’OTAN, qu’elles suivent comme des charognards, a détruit.
L’OTAN est un instrument dépassé. Aujourd’hui, ce qui est en jeu, ce n’est pas le nombre de missiles balistiques d’armes biochimiques ou de lignes Maginot virtuelles. Les guerres ne sont plus faites pour conquérir des territoires comme par le passé mais pour garantir la sécurité énergétique de nos pays et notre mode de vie, qui n’est pas exportable dans l’ensemble de la planète. Nos frères chinois, même s’ils croient qu’ils vont pouvoir posséder autant de voitures, d’écrans plats et de frigidaires que les occidentaux, ne pourront jamais vivre comme nous.
Cette politique est faite pour piller les ressources naturelles, pour conquérir les matières premières nécessaires au fonctionnement des pays riches. La sécurisation énergétique du monde occidental ressemble à celle de la politique des canonnières. La militarisation du monde sert à protéger les pays riches contre la raréfaction des ressources alors que nous ne faisons pas le dixième des efforts qu’il faut entreprendre pour garantir notre avenir énergétique. Tout cela s’apparente à de l’irresponsabilité. Considérer le mode de vie du monde riche comme un îlot à protéger par la force relève de l’ignorance ou de l’aveuglement. La crise écologique, climatique et énergétique balaiera tous ces fantasmes du siècle dernier.
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le député.
M. Yves Cochet. Les guerres du futur n’opposeront plus des États entre eux mais s’apparenteront à une guerre civile mondiale rampante entre pauvres et riches dont l’enjeu sera l’apartheid planétaire et la survie de l’humanité face – disons-le brièvement – à la crise écologique et des ressources. L’OTAN qui ne sait plus à quoi elle sert deviendra alors un instrument militaire global, un gendarme du monde prêt à l’emploi. De cet OTAN-là, nous ne voulons pas. Nous sommes partisans de sa dissolution et de la création de forces de sécurité à la fois continentales et mondiales placées sous le contrôle de l’ONU. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)