Pour une réforme humaniste du Droit de Propriété
Réactualisation par l’AIRE du Livre de Jacques Berthillier de Décembre 2018 CLIC
Résumé de l’édition 1991.
Préface par le Professeur Albert Jacquard
Depuis que les hommes regardent autour d’eux, ils se sont tout naturellement imaginés que la terre était un espace sans limite. Soudain tout a changé ; l’effectif des hommes est passé à 7 milliards. Aujourd’hui le temps du monde fini commence.
Nous devons être économes des richesses offertes, sinon nous aboutirons très vite à l’épuisement de la planète et à la mort de l’homme.
Toutes les organisations mises en place par les sociétés humaines pour assurer leur survie doivent être revues, une réflexion s’affranchissant des anciennes illusions est nécessaire et urgente. Aucune remise en cause ne doit être taboue.
Les méthodes progressivement élaborées au cours des siècles passés, soit pour répartir les biens disponibles, soit pour se les approprier, doivent désormais faire l’objet d’une révision fondamentale.
Ce qui était vrai pour l’appropriation des terrains l’est aussi pour les moyens de production. Leur transmission héréditaire systématique ne peut qu’aboutir à l’accumulation du capital entre les mains de quelques-uns, jouissant d’un pouvoir exorbitant, face à une foule de gens démunis qui sont peu à peu privés de tout espoir. L’idéal d’une société juste, fraternelle, assurant certaine égalité entre les citoyens, ne peut plus être alors que le camouflage d’une société inflexible, impitoyable, destructrice de la majorité des hommes.
Certes, la remise en cause du droit de propriété entraîne, dans des cultures comme la nôtre, de tels bouleversements que la plupart des esprits préfèrent rester crispés sur le maintien du système actuel. En réalité ces bouleversements, de toute façon inévitables, peuvent s’avérer bénéfiques pour autant que le changement du système juridique fasse l’objet d’une réflexion suffisamment approfondie.
C’est à cette réflexion que nous convie Jacques Berthillier. Son analyse de l’histoire du droit de propriété et de l’inadaptation de ce droit, aux conditions à venir de l’homme, lui permet de dégager une voie nouvelle. Son enthousiasme pour la formule qu’il préconise est communicatif. Sans doute faudra-t-il soumettre sa proposition à mille critiques ; il n’existe pas en ce domaine, il en est bien conscient, de « il n’y a qu’à ». Son travail a le grand mérite de nous mettre face à une question décisive pour notre avenir. Grâce à lui le problème est bien posé. Reste à confronter les possibles solutions.
Introduction.
Le droit de propriété est au coeur de notre organisation sociale. Combattu par les uns, prônée par les autres, il divise le monde en deux clans, le capitalisme et le collectivisme.
Entre les tenants de la propriété individuelle et ceux de la propriété collective, le fossé n’est pas irrémédiable. Il existe une voie intermédiaire, de nature à rapprocher les uns et les autres sans pour autant compromettre les acquis de notre civilisation.
À l’aube de notre millénaire, à une époque en par un phénomène d’accélération de l’histoire, le monde évolue à une vitesse prodigieuse, il est donc grand temps de libérer l’individu, à la fois des servitudes d’un pouvoir étatique centralisateur et, du pouvoir de l’argent généré par l’accumulation du capital.
Ainsi, l’accumulation du capital, par l’héritage, a maintenu certaines inégalités sociales provoquant, de ce fait, un sentiment d’injustice à l’égard des immenses fortunes qui se perpétuent de père en fils sans la moindre prestation de travail pour ces bénéficiaires.
Alors que la disparition progressive des régimes totalitaires donne aux hommes jusqu’ici asservis de réels espoirs, le moment est donc venu de réfléchir sur la manière d’assurer une meilleure répartition du capital productif entre les individus. Pour y parvenir, certains préconisent un renforcement de l’imposition du capital. Pour nous, il semblerait préférable d’opérer une redistribution équitable du capital à chaque génération, par une transformation radicale de l’héritage et une remise en cause des fondements de la propriété.
Un peu d’histoire
I – Évolution historique
Aux temps les plus reculés de notre civilisation, la propriété, droit de disposer des choses de la façon la plus absolue, n’existait que pour les biens mobiliers. Avec l’apparition du sédentarisme se sont développées l’appropriation privée du sol et sa transmission héréditaire dans le cadre de la tribu, puis de la famille. Le développement du commerce et l’importance accrue des métaux précieux ont contribué, par la suite, à réduire la part de la propriété foncière. La propriété individuelle se substituait alors à la propriété familiale pour les objets, les animaux et même pour la terre. C’est ainsi que progressivement se sont constitués de grands domaines fonciers, puis d’immenses fortunes héréditaires. Cette évolution se poursuivra par des voies diverses jusqu’à la fin du XIXe siècle dans la plupart des pays.
Face aux inégalités de richesses de plus en plus marquées, s’est élevé un courant de pensée hostile à la notion même de propriété individuelle. Il prit ses racines dans la plus haute Antiquité puisque déjà Platon, dans un écrit célèbre « La République », concevait l’idéal d’une société nouvelle totalement communiste. Plus près de nous, Jean-Jacques Rousseau prône des idées égalitaires dans son « Contrat Social », reprise par Saint-Simon et Proudhon, ce dernier ayant résumé sa pensée dans une phrase célèbre : « la propriété c’est le vol ».
C’est pourtant Karl Marx qui conteste, avec le plus de force, l’appropriation privée des moyens de production, considérant que ceux-ci doivent être centralisés aux mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat institué en classe dirigeante (le capital, 1867). 50 ans plus tard, avec la révolution bolchevique conduite par Lénine, naîtront les républiques socialistes dans lesquelles la plupart des moyens de production seront confiés à l’État. La Chine à son tour, en 1958 avec la création des communes populaires, instaurera une vie communautaire extrêmement poussée au sein de 26 000 communes regroupant 750 000 coopératives.
Ces transformations cependant, ne vont pas apporter tous les bienfaits attendus. C’est ainsi que, deux évolutions parallèles mais décalées, 1978 pour la Chine, 1988, pour l’URSS, vont tendre à relancer l’initiative privée et à réduire l’emprise de l’État sur l’économie. Une évolution d’une rapidité inconcevable il y a encore quelques années, a vu également le jour dans les pays socialistes européens pour réclamer plus de justice, davantage de libertés individuelles et un nouvel aménagement de l’organisation économique et sociale.
II – La leçon des faits
Face aux récents bouleversements des pays socialistes, le moment est venu de tirer parti de l’expérience du passé pour réfléchir sur la place donnée à l’homme dans l’économie et sur le rôle assigné à l’État.
L’homme, en premier lieu, et ceci n’est plus contesté, constitue bien la force maîtresse de tout développement économique ; il est le vrai moteur de la croissance. De ses motivations, de son goût de l’effort, de son aptitude à innover, de sa liberté d’entreprendre vont dépendre les réussites de l’espace économique dans lequel il s’insère. D’ailleurs, sa liberté d’initiative fait partie intégrante du droit à la liberté, un des besoins fondamentaux de la nature humaine.
Mais l’homme, en tant que consommateur, est aussi un agent de régulation de l’économie par ses arbitrages sur le marché où la loi de l’offre et de la demande permet de fixer les prix de vente des produits et des services.
L’État, de son côté, un rôle essentiel à jouer en tant que régulateur de l’économie, par son action sur le budget, sur la politique du crédit et par ses choix stratégiques. Il doit veiller aussi à la sauvegarde du patrimoine national et de l’environnement, sans pour autant transgresser le principe essentiel de séparation des pouvoirs, fondement de toute démocratie.
Dans ce contexte, conforme au schéma de la pensée classique, il semble néanmoins souhaitable d’amender le régime de la propriété privée pour assurer une meilleure répartition du capital, afin d’éviter que son accumulation, par le jeu de la transmission héréditaire, non seulement fausse la compétition économique, mais crée un esprit de classe fortement préjudiciable aux bons rapports humains. Cette « réforme humaniste du droit de propriété » créerait aussi les bases d’un rapprochement entre les peuples qui vivent sous des régimes économiques différents.
Une voie nouvelle
Dans les pays démocratiques le pouvoir politique n’est plus héréditaire. Pourquoi n’en va-t-il pas de même pour le pouvoir économique encore trop dépendant de la règle de transmission héréditaire du capital, elle-même contraire au principe d’égalité des droits et de promotion au seul mérite ?
Il serait donc judicieux d’accompagner toute réforme sur l’héritage d’une meilleure répartition du capital, de façon à parvenir à une association plus équitable entre le capital et le travail, tout en prenant soin de ne pas altérer l’esprit d’entreprise et la motivation des agents économiques les plus performants.
Dans ces conditions, il semblerait opportun d’envisager quelques mesures essentielles :
- faciliter à tout individu l’accès au capital productif
- lui permettre, de son vivant, de se constituer un capital en accumulant une épargne prélevée sur le revenu de son travail.
- mais limiter, néanmoins, la transmission héréditaire du patrimoine aux seuls avoirs sentimentaux tels que la maison familiale (principale ou secondaire) et des biens mobiliers pouvant lui être rattachés (objet de famille ou bien précieux).
Pour cela il conviendrait :
- d’exonérer de tout droit de succession les biens chargés d’un avoir sentimental, sous réserve de leur conservation dans la famille ou d’un réemploi dans des biens de même nature ;
- de taxer fortement, au-delà d’une franchise, la transmission héréditaire des biens de courte durée (inférieure à 15 ans) ;
- de supprimer totalement l’héritage pour les autres biens.
Ainsi, au décès de leur propriétaire, tous les biens exclus de la transmission héréditaire reviendraient à la collectivité qui, obligatoirement, devrait recéder le droit de jouissance à toute personne physique ou morale qui s’en porterait acquéreur. Celle-ci bénéficierait alors d’un contrat de jouissance de très longue durée, de 7 à 49 ans, selon les biens considérés et le choix des titulaires, ce qui leur permettraient de jouir de ses biens et même de les céder, mais non de les transmettre héréditairement. En contrepartie, il s’obligeait à acquitter à la communauté une indemnité fixée par adjudication.
Les modalités de cette adjudication, propre à chaque catégorie de biens, conduirait à des valeurs fixées par le marché, évitant ainsi tout passe-droit et tout arbitraire dans la fixation des prix.
Dans son esprit, cette réforme rejoindrait les formules de financement par crédit-bail dans lesquelles, si l’utilisateur du bien n’en possède pas l’entière propriété, néanmoins il en récolte bien les fruits résultant de son usage. Cette réforme offrirait en outre, l’immense avantage de permettre une redistribution du capital à chaque génération. La collectivité de son côté percevrait une rémunération fonction des avantages attendus des biens donnés en jouissance et des disponibilités monétaires des adjudicataires ; en revanche, elle en perdrait tout pouvoir de gestion.
Pour éviter tout excès de bureaucratie dans le cadre d’une procédure informatisée, les contrats de jouissance immobilier seraient établis par les notaires, les banques, de leur côté, intervenant dans la négociation des contrats de jouissance portant sur les entreprises.
Perspectives.
Pour autant que nous ayons foi en la nature humaine et sur sa capacité de choisir son destin, de vaincre les difficultés et de forger l’histoire de sa génération, le moment est venu d’essayer, simultanément, de libérer l’individu des servitudes d’un pouvoir étatique et, tout autant, du pouvoir de l’argent généré par l’accumulation du capital.
En assurant la promotion des individus, en favorisant leur esprit d’entreprise et leur sens de l’initiative, en cultivant leur goût de l’effort, en leur donnant l’ambition de réussir, on en fera des hommes pleinement responsables et non plus des agents économiquement assistés.
Or, dans le domaine économique, se sont notamment la suppression du pouvoir héréditaire et l’ouverture du capital aux plus grands nombres qui seront les plus sûrs moyens pour modifier les comportements humains grâce à une meilleure association entre le capital et le travail.
Mais comment parvenir à ce résultat sans remettre en cause notre législation sur la propriété, de façon à supprimer les privilèges, aussi bien de l’individu que de l’État, qui bride l’individu en l’assujettissant aussi bien à la bureaucratie qu’au capital ?
Pour autant, en Occident, une remise en cause aussi fondamentale d’un droit successoral plus que millénaire n’est pratiquement concevable que si elle est appliquée à une très vaste échelle. C’est pourquoi, cette proposition de réforme du droit de propriété et de la transmission du patrimoine doit s’envisager, d’emblée, non seulement dans une perspective à très long terme mais aussi à l’échelle planétaire. En effet, elle perdrait toute crédibilité, si, dès le départ, on admettait l’existence de paradis fiscaux ou viendrait se réfugier les capitaux.
Cet objectif apparemment lointain ne doit pas pour autant nous amener à différer notre réflexion. Ce serait oublier la formidable accélération de l’histoire, née du progrès technique et du développement des communications. L’Europe se construit avec les anciens pays socialistes, les nations dites « émergentes » ne pourront pas rester étrangères aux mutations des pays les plus développés.
Alors que les anciens pays de l’Est découvrent l’efficacité de l’économie de marché et s’orientent déjà vers des formules de type locatif, il serait opportun que, parallèlement, les pays occidentaux prennent conscience des injustices chroniques générées par une accumulation héréditaire du capital, qui réfléchissent aussi aux freins économiques résultant d’une excessive et durable concentration du capital qui limite son accession au plus grand nombre.
C’est sur cette réconciliation loyale entre les forces du capital et du travail que pourrait s’accélérer le processus de rapprochement entre les peuples, qui vivait sous des régimes différents et qui aspire à vaincre leurs antagonismes.
Références bibliques.
la Bible, il y a plus de 3000 ans, a posé de façon claire quelque règles essentielles, en particulier la répartition de la terre, principal facteur de production de cette époque, entre les 12 tribus d’Israël. En cas d’aliénation, son retour tous les 50 ans à ses propriétaires d’origine, à l’occasion du jubilé, pour préserver les règles de partage initial.
La terre est distribuée en fonction de l’importance de la population des tribus et à l’intérieur de chaque tribu, entre les familles, par tirage au sort quelque soit leur importance. Cette façon de procéder avait probablement pour raisons d’éviter tout favoritisme dans l’affectation des lots et de responsabiliser la famille en transgressant la règle : à chacun selon ses besoins
Tous les 50 ans au plus tard, c’est-à-dire pour le jubilé, la terre en cas d’aliénation, retourne à la famille qu’il avait reçue en partage.
Les terres ne se vendent donc pas à perpétuité, toute vente comporte un droit de rachat et en l’absence de rachat le vendeur retrouve sa terre l’année du jubilé
Cette règle ne s’applique qu’aux biens de production (à l’époque les fonds de terre) et la fixation du prix de vente est fonction du nombre de récoltes restant à venir. L’année du jubilé est l’année de liberté
En conclusion.
Avec le jubilé, soit tous les 50 ans environ toutes les deux générations, on revient à la répartition du capital d’origine. Il s’agit d’un retour aux sources, selon le sens donné au mot jubilé.
Ainsi, chacun accède au capital sans disposer pour autant de la possibilité de s’enrichir indéfiniment au détriment d’autrui. Façon harmonieuse de concilier efficacité économique et justice sociale.
Malheureusement, la pratique du jubilé n’est plus applicable. En outre, l’économie s’est diversifiée et la terre n’est plus l’unique facteur de production.
Dès lors, que faire aujourd’hui ?
Laisser les choses en l’état ou bien essayer de s’adapter aux impératifs d’une économie moderne, en s’appuyant sur les règles données par la Bible : ouvrir à chacun l’accès au capital productif, et éviter son accumulation indéfinie.
Ce sont ces règles qui sous-tendent nos propositions. D’où la réduction de la transmission héréditaire et de développement des régimes de location pour des durées de base multiples de 7 : 7,14, 21, 28, 35, 42 et 49 ans (une année de moins que le jubilé).
Cependant, au risque de transgresser l’esprit des textes, nous avons innové avec le retour aux intérêts composés, formule qui a paru nécessaire dans le contexte d’une économie moderne.
attention à ne pas choisir des armes qui renforcernt celui que l’on croit combattre
parler ainsi du droit de propriété sans questionner l’immonde amalgame propriété = propriété privée, c’est renforcer l’ennemi principal qu’est la volonté de croissance de l’argent par la croissance des destructions
le droit de propriété inclut aussi la propriété publique, les biens publics
l’air respirable et viable avant qu’il ne devienne surchargé d’asthmatiques et troué d’ozone partie, l’eau potable telle qu’elle tombait naturellement du ciel, les forêts qui empêchaient l’érosion des sols.
Les espaces publics petits pour se baigner à la mer (accès aux plages) ou se promener (parcs publics) ou biens publics grands (nos mers poissonneuses , sans disparition des espèces), tout cela relève du droit de propriété publique.
L’argent inonde nos cerveaux via les mass media qu’il soumet, pour détruire systématiquement nos biens publics afin de les monétariser en richesses disparues qui nous font davantage de pauvreté pour davantage d’activité qui servent sa croissance.
Tout cela pour dire que traiter du droit de propriété sans au moins préciser qu’il ne s’agit que de la petite et mineure propriété privée, c’est servir l’ennemi en occultant avec lui la place principale de la propriété publique.
cordialement
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Bonjour,
Je suis très intéressée par la réforme du droit de propriété et je souhaiterais si c’est possible voir si je peux me joindre à vos réflexions. Il est urgent d’agir et des locataires ne peuvent plus passer des années à mettre en valeur et développer le patrimoine des bailleurs sans rien avoir en retour.
Merci pour votre réponse.
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